« Leurs villes sont pleines de grandes maisons remplies de piles de marchandises, mais ils ne partagent pas »

En 2010, Davi a publié son autobiographie, La Chute du ciel, en collaboration avec l’anthropologue Bruce Albert. Il est très critique à l’égard du matérialisme et de la surconsommation du monde industrialisé © Pablo Levinas/Survival
Davi Kopenawa Yanomami est un chaman et leader du peuple yanomami, connu comme le « dalaï-lama de la forêt tropicale ». Il a passé sa vie à défendre avec passion et détermination son peuple et sa terre et à s’élever contre la destruction de l’Amazonie. Pour ce travail important, il a reçu, avec l’organisation yanomami Hutukara, le Right Livelihood Award 2019, connu sous le nom de « Prix Nobel alternatif ».
Voici un extrait de son livre, La Chute du ciel, dans lequel Davi explique que les Yanomami ont une attitude très différente vis-à-vis des biens matériels et des biens manufacturés, que Davi appelle “marchandise”.
Les Yanomami pensent qu’il est cupide et stupide de thésauriser des tas de choses : si vous avez quelque chose dont quelqu’un d’autre a besoin, pourquoi ne pas le partager ?
« […] nous n’apprécions pas les avares ! Je ne pense qu’aux marchandises pour les distribuer. Si j’en possédais autant que ces étrangers, je les céderais à tous ceux qui en font la demande en leur disant : « Elles sont à vous, prenez-les et soyez satisfaits ! C’est pour les distribuer largement que j’en fabrique d’aussi grandes quantités ! »
Mais les Blancs sont d’autres gens que nous […] Ils possèdent maintenant un très grand nombre de machines et d’usines. Pourtant ça ne leur suffit encore pas. Leur pensée demeure constamment attachée à leurs objets. Ils en fabriquent sans relâche et en désirent toujours de nouveaux. 
“Un © FUNAI
[…] Je crains que cette euphorie de la marchandise n’ait pas de fin et qu’ils finissent par s’y emmêler jusqu’au chaos. Déjà, ils ne cessent de s’entretuer dans les villes pour de l’argent et de se battre pour des minerais ou du pétrole qu’ils arrachent du sol. Ils ne pensent pas qu’ils sont ainsi en train de gâter la terre et le ciel et qu’ils ne pourront jamais en recréer d’autres. 
Leurs villes sont pleines de maisons où s’amoncellent d’innombrables marchandises, mais leurs anciens ne les donnent jamais à personne. S’ils étaient vraiment de grands hommes, ne devraient-ils pas se dire qu’il serait bon de les distribuer toutes avant d’en fabriquer d’autres en plus grand nombre ? Mais ce n’est jamais le cas ! 
Au contraire, les Blancs ont pour habitude d’entasser leurs biens avec avarice et de les garder enfermés […] Ils vivent en redoutant sans cesse qu’on ne leur vole […] Ils doivent se dire avec euphorie : « Je fais partie du peuple de la marchandise et des usines ! Je possède toutes ces choses seul ! Je suis intelligent ! Je suis un homme important, un riche ! » 
[…] Il en est de même avec leurs aliments qu’ils empilent sans cesse dans leurs habitations. Si nous leur demandons, ils n’acceptent jamais de nous les céder sans nous faire travailler pour eux. Nous ne sommes pas des gens qui ont pour habitude de refuser la nourriture à leurs visiteurs ! Lorsque nos jardins regorgent de manioc et de bananes, nous boucanons un grande quantité de gibier et nous invitons les habitants des maisons voisines à une fête reahu afin de rassasier leur faim […]
La nourriture des Blancs n’a pas une valeur si élevée qu’ils le prétendent ! Comme la nôtre, elle ne fait que disparaître aussitôt ingérée pour se transformer en excréments. Leurs marchandises non plus ne sont pas si précieuses qu’ils le disent. C’est seulement la grande peur qu’ils ont de manquer qui leur en fait alourdir la valeur.
“Davi © Fiona Watson/Survival
[…] Nous, habitants de la forêt, […] possédons peu de biens et nous en sommes satisfaits. Nous ne souhaitons pas détenir de grandes quantités de marchandises.  Cela embrouillerait notre esprit. Nous deviendrions comme les Blancs. Nous en serions sans cesse préoccupés : « Awe ! Cet objet me fait envie ! Je désire aussi celui-ci, puis celui-là et cet autre encore ! » Cela n’aurait plus de fin !
Alors en garder aussi peu à nos côtés nous suffit. Nous ne voulons pas arracher les minerais de la terre ni que leurs fumées d’épidémie redescendent sur nous ! Nous voulons que la forêt demeure silencieuse et le ciel clair afin de pouvoir y distinguer les étoiles à la nuit tombée.
Les Blancs ont déjà bien assez de métal pour fabriquer leurs marchandises et leurs machines ; de terres pour planter leur nourriture ; de tissus pour se couvrir ; de voitures et d’avions pour se déplacer. Pourtant, ils convoitent maintenant le métal de notre forêt pour en fabriquer encore plus et le souffle maléfique de leurs usines se propage partout […] Son obscurité descendra peut-être jusque sur nos maisons et, alors, les enfants de nos enfants cesseront de voir le soleil. »
Cet extrait a été édité pour des questions de longueur.
 
 

Partager