Des “safaris humains” menacent les Ang
Bien que la Cour suprême indienne ait ordonné la fermeture d’une grande route qui traverse la réserve des Ang, elle est toujours ouverte aujourd’hui et les touristes l’empruntent, soumettant les Ang à de véritables “safaris humains”.
Des braconniers pénètrent dans la réserve et s’emparent des ressources animales qui permettent la survie des Ang. Ils ont également introduit de l’alcool et des drogues, et sont connus pour abuser sexuellement des femmes ang.
Les Ang n’ont de contact (limité) avec les colons qui vivent autour de leur territoire que depuis les années 1990, et demeurent vulnérables aux maladies. En 1999 et en 2006, les Ang ont été atteints par une épidémie de rougeole, une maladie pourtant bénigne mais qui a anéanti de nombreux peuples autochtones suite à leur premier contact avec le monde extérieur.
Les Ang étaient auparavant appelés “Jarawa”, un terme qui signifie “étranger” dans la langue des Grands Andamanais, un peuple voisin, mais ils s'autodénominent “Ang”, qui signifie “Nous les gens”.
© Salomé
On estime que les peuples autochtones des îles Andaman ayant survécu à la colonisation, c'est-à-dire les Ang, les Grands Andamanais, les Onge et les Sentinelles, vivent dans cette partie de l'océan Indien depuis des milliers d'années.
Comme les Nicobarais et les Shompen des îles Nicobar, ils subissent la présence d'environ 400 000 colons indiens s'étant installés sur ces îles, dépassant largement en nombre les peuples autochtones.
Qui sont-ils ?
Aujourd’hui, environ 450 Ang vivent en groupes de 40 à 50 personnes dans des chaddhas, leurs maisons.
Comme la plupart des peuples autochtones qui vivent encore en autosuffisance alimentaire, les Ang prospèrent, et leur population ne cesse de croître.
Les Ang chassent le cochon sauvage et la tortue et pêchent dans les récifs coralliens, avec des arcs et des flèches, des crabes et des poissons, tels que des poissons-chats rayés ou des gazza minuta. Ils collectent des fruits, des racines, des tubercules et du miel.
Aussi bien les hommes que les femmes ang collectent le miel sauvage dans les grands arbres. Lors de la collecte, les membres du groupe entonnent des chants pour exprimer leur joie. Ils mastiquent la sève d’une plante répulsive, l'ooyekwalin, qu’ils pulvérisent sur les abeilles pour les éloigner. Une fois débarrassés des abeilles, les Ang peuvent prélever leur nid qu’ils mettent dans un panier pour l’emporter sur leur dos.
Une étude réalisée sur leur santé a révélé que leur « statut nutritionnel » était « optimal ». Ils ont une connaissance approfondie de plus de 150 plantes et de 350 espèces d’animaux.
Pendant des siècles, les Ang ont résisté avec force à tout contact avec des personnes de l'extérieur, et ont défendu leur territoire des invasions, à l'instar de leurs voisins, les Sentinelles. Néanmoins, en 1998, ils ont commencé à sortir de leur forêt sans leurs arcs et leurs flèches et parfois à visiter les villages situés à proximité. Si les Ang ne sont plus un peuple non contacté, ils restent très isolés et sont considérés comme étant en état de “contact initial”, ce qui implique qu'ils restent très vulnérables face à l'exploitation par des personnes de l'extérieur.
En 1990, les autorités locales ont annoncé un "projet" à long terme visant à installer les Ang dans deux villages dont l’économie serait basée sur la pêche et où les Ang pourraient pratiquer leurs "sports", à savoir la chasse et la collecte. Ce projet était si normatif qu’il précisait même le type de vêtements que les Ang devraient porter. La sédentarisation forcée a été fatale pour d’autres peuples des îles Andaman, comme cela l’a été pour les peuples autochtones récemment contactés dans le monde entier.
Suite à une campagne de grande envergure menée par Survival et d’autres organisations indiennes, incluant notamment des témoignages d'experts devant la Haute cour, le plan relocalisation a été abandonné. Simeon Tshakapesh, chef du peuple mushuau innu, dans l'est du Canada, a raconté dans son témoignage comment le fait d'être "sédentarisé" peut signifier "une sentence de mort pour un peuple unique et autosuffisant”. Il a ajouté : “Je vous supplie de tirer des leçons de notre situation avant de prendre toute décision qui pourrait avoir un impact drastique sur lers vies des Jarawa [Ang].”
En 2004, les autorités indiennes ont annoncé une nouvelle politique radicale : les Ang seraient libres de déterminer leur propre avenir, et toute intervention externe dans leur existence serait réduite au minimum.
À quels problèmes sont-ils confrontés ?
Malgré cette politique en leur faveur, les Ang sont confrontés à de nombreuses menaces :
La grande route qui traverse leur réserve amène des milliers d’étrangers, dont des touristes, au cœur même de leur territoire. Les touristes traitent les Ang comme des animaux dans un parc à safari.
La chasse, la pêche et la collecte illégales, perpétrées par des braconniers locaux ou étrangers, restent une sérieuse menace pour la survie des Ang. Le vol des aliments dont ils dépendent risque de compromettre leur autosuffisance. Ils ne survivront pas sans les ressources qu'ils chassent, pêchent et collectent.
Ils restent également vulnérables aux maladies extérieures contre lesquelles ils sont peu ou pas immunisés. En 1999 et 2006, les Ang ont connu des épidémies de rougeole, une maladie qui a décimé de nombreux peuples dans le monde entier à la suite de contacts avec des personnes de l’extérieur. Une épidémie pourrait annihiler les Ang.
Des abus sexuels sont perpétrés à l’encontre des femmes ang par les braconniers, les colons, les chauffeurs de cars et autres hommes venus de l'extérieur du territoire.
Tentatives d' "intégration" des Ang à la société majoritaire
En Inde, une politique d'"intégration" consiste à pousser un peuple autochtone à rejoindre la société majoritaire et a un effet dévastateur sur ce peuple. Elle détruit son autosuffisance, son identité, et l'abandonne à son sort, démuni, dans les marges de la société. Presque systématiquement, les taux de maladies, de dépression, d'addiction et de suicide au sein des communautés autochtones s'envolent.
En 2010, un membre du parlement des îles Andaman et Nicobar a demandé que des "mesures rapides et drastiques soient prises pour amener les Jarawa [Ang] au niveau des caractéristiques fondamentales de la société majoritaire" et que les enfants soient envoyés dans des internats pour les "sevrer" de leur propre peuple. Il par des Ang comme étant "à un stade primaire de développement" et "coincés quelque part entre l'âge de pierre et l'âge de fer". En 2024, il a demandé un budget au gouvernement indien, disant que ces îles abritaient “la tribu la plus primitive du monde [sic]”, qui avait besoin que soit élaboré un programme pour son “développement”.
Or, ces demandes ne venaient pas des Ang, qui n'ont jamais démontré la moindre envie de quitter leur forêt. Le destin des Grands Andamanais et des Onge rappelle cruellement ce qui pourrait arriver aux Ang si leurs droits de décider de leur mode de vie et de déterminer qui peut entrer sur leurs terres ne sont pas reconnus.
"Safaris humains"
L'existence des Ang est aujourd'hui sérieusement menacée par une route qui traverse leur forêt et amène des personnes de l'extérieur au cœur de leur territoire: l'Andaman Trunk Road which brings outsiders into the heart of their territory.
Cette route facilité l'organisation de "safaris humains" par des tour opérateurs. Ceux-ci y conduisent des touristes dans l'espoir "repérer" des Ang, rappelant ainsi les atroces "zoos humains" de l'époque coloniale.
Depuis 1993, Survival fait pression sur le gouvernement indien pour qu'il ferme l'Andaman Trunk Road, car seuls les Ang devraient décider si, quand et où des personnes de l'extérieur peuvent traverser leur territoire.
© Search/Survival
En 2002, la Cour suprême indienne a ordonné la fermeture de la route, mais elle demeure ouverte.
En 2013, suite à une campagne de Survival et de l'organisation locale Search, la Cour suprême a interdit aux touristes d'emprunter cette route pendant sept semaines, réduisant ainsi de deux tiers le trafic sur l'Andaman Trunk Road. Mais l'interdiction a été levée après que les autorités des îles Andaman et Nicobar ont modifié leur propre réglementation, de manière à ce que les "safaris humains" puissent se poursuivre.
En octobre 2017, les autorités des îles Andaman et Nicobar ont ouvert une route maritime alternative vers l'île de Baratang, réclamée depuis longtemps, et qui était censée mettre fin aux safaris humains. Les autorités avaient promis que tous les touristes seraient obligés de l'emprunter, mais cela n'a pas été le cas, et le marché illégal des safaris humains le long de l'Andaman Trunk Road prospère toujours.
Survival demande aux autorités des îles Andaman et Nicobar de mettre fin aux safaris humains, de lutter contre le braconnage et de s'assurer que les personnes arrêtées soient jugées.
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