Cessez de dire que Christophe Colomb a ‘découvert’ l’Amérique; c’est nier toute l’histoire des Indiens

De nombreux Indiens vivent le long de la rivière Madeira et de ses affluents. © João Zinclar 2007

Prétendre que les territoires autochtones sont ‘vides’, c’est justifier leur spoliation à des fins d’exploitation commerciale et militaire.

© Icelight/Wikicommons

Il y a à peine plus d’un siècle au Pérou, un éminent professeur d’histoire de l’Université de Yale quittait son campement dans une vallée au nord-ouest de Cuzco, et marchait à travers une forêt d’altitude jusqu’à une chaîne de montagnes de plus de 2 300 mètres. Là, bien en amont de la rivière rugissante Urubamba, il découvrit une ancienne citadelle en pierres, des terrasses sculptées, des temples et des tombes, des constructions en granite et des murs polis recouverts de végétation depuis des siècles.

Hiram Bingham avait découvert par hasard le site inca de Macchu Picchu, le site qu’il considéra comme la ‘Cité perdue des Incas’. En 1913, il écrivit dans le magazine National Geographic : ‘Le Macchu Picchu pourrait bien être la plus grande et la plus importante découverte archéologique en Amérique du Sud depuis les premiers jours de la conquête espagnole’.

Mais Bingham se trompait. Il n’avait pas ‘découvert’ le Macchu Picchu. Ce site n’était pas non plus ‘perdu’. Il a peut-être fait connaître son existence au monde scientifique occidental, parce qu’en effet, il n’y en avait aucune mention dans les chroniques des conquérants espagnols, mais la population locale était parfaitement consciente de son existence.

Pourtant, Christopher Heaney, un chercheur de l’université du Texas et auteur d’un ouvrage sur Hiram Bingham, raconte que l’historien a été stupéfait de rencontrer une famille indienne près de la citadelle. ‘Lorsqu’il a gravi la montagne, il a été très surpris de trouver une famille indienne au sommet de la crête’. La raison pour laquelle Bingham a été surpris est déconcertante en soi.
 
Il est peu probable que sa terminologie ait été entachée de connotations négatives pour les peuples autochtones locaux, mais la langue des colonisateurs a pendant longtemps joué un rôle tragique dans la destruction des peuples autochtones à travers le monde. Pendant des siècles, les territoires autochtones ont été considérés comme étant ‘vides’ pour justifier leur spoliation à des fins commerciales, militaires ou environnementales. Après tout, si une région est inhabitée, le sens commun voudrait que les droits de l’homme ne s’y appliquent pas. De même, les préjugés racistes – traiter les peuples autochtones d’‘arriérés’, de ‘non-civilisés’, ou de ‘sauvages’ ont dicté une attitude populaire d’irrespect et de crainte, qui sous-tend (et même justifie, dans l’esprit de leurs auteurs) le traitement cruel auquel les peuples autochtones ont été soumis.

Lorsque les colons européens ont débarqué sur les côtes australiennes, ils ont prétendu que tout le continent était terra nullius, une terre n’appartenant à personne. Mais tel n’était pas le cas. Si la population aborigène y vivait depuis sans doute plus de 50 000 ans, le concept de terra nullius n’a été officiellement abandonné qu’en 1992, ce qui avait entre temps permis la spoliation ‘légitime’ des terres des premiers occupants du continent. Sous le régime de la loi coloniale britannique, les Aborigènes n’avaient aucun droit ; ils étaient considérés comme trop ‘primitifs’ pour posséder de la terre. En l’espace de seulement 100 ans après la première invasion, la population aborigène fut réduite d’environ un million d’individus à seulement 60 000.

De même, lorsque les alizés avaient porté Christophe Colomb jusqu’au ‘Nouveau Monde’ en 1492, il était en fait arrivé sur des terres habitées depuis des millénaires par des tribus qui avaient leurs propres lois, leurs propres rituels, leurs propres croyances, leurs propres valeurs, leurs propres modes de vie et leurs propres religions.

‘Les Blancs clament aujourd’hui : ‘Nous avons découvert le Brésil’, dit Davi Kopenawa, chamane et porte-parole yanomami, ‘comme si ce pays était vide ! Comme si des êtres humains n’y avaient pas vécu depuis la nuit des temps ! », une réflexion reprise par Megaron Txukarramae, un leader kayapo : ‘La terre que les Blancs ont appelé Brésil appartenait aux Indiens. Vous l’avez envahie et en avez pris possession’.

La réalité est, bien sûr, tout autre. Les Amériques n’avaient rien de ‘nouveau’, l’Australie n’était pas ‘vide’ avant l’arrivée des Européens, et le Macchu Picchu n’a pas été ‘découvert’ en 1911. ‘L’expression « découverte de l’Amérique » n’a aucun sens’, écrivait le linguiste et philosophe Noam Chomsky. ‘Ce qu’ils ont découvert était une Amérique qui avait été découverte des milliers d’années auparavant par ses habitants. Ce qui s’est passé en réalité a été l’invasion de l’Amérique, une invasion par une culture très étrangère’.

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