Allégations sur le cannibalisme dans le Pacifique sud : les dangers du journalisme

© Audrey Butt Colson

Les médias se focalisent souvent sur des légendes qui font de bonnes histoires pour leurs lecteurs mais causent des problèmes aux peuples autochtones. Il est temps de distinguer les faits de la fiction.

La nouvelle selon laquelle les restes calcinés d’un voyageur allemand ont été découverts dans la forêt de Nuka Hiva, l’une des plus grandes îles Marquises du Pacifique Sud, est tragique et effrayante. L’auteur des faits, quel qu’il soit, n’a toujours pas été attrapé, pourtant de nombreuses histoires sensationnelles de cannibalisme circulent déjà . En particulier, des journaux tels que le Uk’s Daily Express, le Daily Mail et le Daily Telegraph ont élargi leur couverture médiatique en reliant cette tragédie du Pacifique Sud à des rituels culturels cannibales que les peuples indigènes auraient prétendument pratiqués.

Ceci n’est rien d’autre que du journalisme irréfléchi et dangereux, usant de stéréotypes.
Selon ses dires, la relation qu’établit le Daily Express est ténue (‘il n’y a rien qui lie le peuple de Korowai de Nouvelle-Guinée au peuple des Marquises – rien d’autre que les rapports macabres de cette semaine’). S’il n’y a ‘rien’, pourquoi faire un tel amalgame avec ‘le peuple des Marquises’ ? Et si une telle connection grossière doit être établie, pourquoi ne pas établir le lien avec un russe qui a été emprisonné pour avoir mangé sa mère en 2009 ou un allemand qui a mangé une partie de son amant quelques années auparavant? Car un comportement aussi horrible n’est pas plus l’apanage des peuples autochtones des îles Marquises que le meurtre et le cannibalisme ne sont celui des Russes et des Allemands. ‘Les Marquisiens souffrent, ils ne comprennent pas qu’un tel événement ait pu se produire. Alors s’il vous plaît, ne jugez pas la Polynésie française uniquement à partir de ce drame, cela peut arriver partout! Merci de m’avoir lu.’, écrit un commentateur de Tahiti sur le site du UK Daily Mail.

Le fait est qu’un comportement psychopathe déviant et cruel peut se produire, et se produit, dans toutes les sociétés. Cet allemand à Nuka Hiva a été fatalement malchanceux de tomber sur un individu profondément dérangé. Mais cela ne signifie certainement pas que les compatriotes du coupable sont tous aussi cruels. Il n’existe aucune preuve tangible ni crédible dans le monde de l’existence d’un individu autochtone ayant tué ou mangé quelqu’un en dehors d’un acte coutumier. ‘Certains sociologues pensent en fait que toutes les histoires sont des légendes’ dit Stephen Corry, directeur de Survival International.

Les légendes font de bonnes histoires pour les lecteurs mais créent des problèmes aux peuples autochtones; il s’agit en fait de la perpétuation et du maintien d’ idées préjudiciables envers les peuples autochtones et qui appuient leur destruction. Partout dans le monde, ils ont longtemps été perçus – et le sont encore – comme des sauvages malpropres et des vagabonds arriérés appartenant à des sociétés archaïques condamnées (à disparaître). Considérer ces peuples comme des sauvages et des nuisibles inutiles est pratique pour ceux qui ne sont pas intéressés par la richesse et la complexité de leur société mais qui sont désireux de faire main basse sur les minéraux qui se trouvent dans leurs sous sol, sur les arbres qui se trouvent dans leurs forêts et sur l’or que charrient leurs rivières.

Plus tôt cette année, un nouveau livre sur le cannibalisme médicinal a été publié. Il décrit les remèdes médicaux peu connues des Européens obtenus à partir de cadavres. ‘Le cannibalisme n’a pas été découvert uniquement dans le Nouveau Monde, comme on le croit souvent, mais aussi en Europe’, écrit l’auteur britannique Dr. Richard Sugg. ‘Le sujet du cannibalisme médicinal en médecine occidentale a reçu étonnamment peu d’attention historique.’
Est-ce réellement surprenant qu’il n’ait reçu que peu d’attention, ou ne s’agit-il pas d’un oubli délibéré? Alors que des membres de royautés européennes utilisaient de la mousse prélevée sur des crânes humains comme remède pour les saignements de nez, ils dénigraient en même temps les ‘sauvages’ qu’ils rencontraient dans le ‘Nouveau Monde’.

En d’autres termes, le cannibalisme n’a jamais été considéré comme un signe d’appartenance au monde ‘civilisé’, mais (encore une fois, à l’avantage de certains) comme preuve de la sauvagerie des peuples autochtones. ‘Le cannibalisme, désignant la coutume de consommer de la chair humaine, n’a jamais été signalé nulle part sauf par des personnes qui y trouvaient leur intérêt – généralement, s’emparer des terres d’autres peuples ou vendre un livre ou un film’ affirme Stephen Corry de Survival international.

Si les peuples autochtones continuent d’être décrits comme des ‘sauvages’ ou ‘des Hommes de l’âge de pierre’ – cannibales ou autre – le public croira que c’est vrai. Les représentations négatives alimentent les stéréotypes négatifs qui renforcent les violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, y compris le génocide. Malheureusement, quand il s’agit de peuples autochtones, bien trop souvent, les médias se concentrent sur des légendes les concernant. Les articles ne se fondent pas sur des faits avérés – tels que le fait que les peuples autochtones ont développé certains aliments de base consommés dans le monde entier (comme le manioc et la pomme de terre); que l’un des meilleurs moyens de protéger les précieuses forêts tropicales du monde consiste à protéger les droits territoriaux de leurs gardiens autochtones car leur connaissance approfondie de la nature est extrêmement importante dans un monde ébranlé par les changements climatiques; que si ce n’était grâce à la sagesse et à la connaissance botanique des peuples autochtones, de nombreux médicaments nous seraient encore inconnus.

Il serait plus pondéré (et éthique) de lire les rapports qui mettent en avant le fait qu’il existe, dans notre monde de plus en plus uniformisé, des peuples qui vivent encore en harmonie avec leur environnement, qui mesurent le temps en fonction des cycles de la lune, qui peuvent estimer très précisément les changements climatiques ou détecter les altérations de la calotte glaciaire, et qui peuvent prédire avec précision le retour de l’oie des neiges au printemps.

‘Toutes ces années à traiter l’Indien de sauvage n’en ont jamais fait un’ avait dit Luther Standing Bear, un Sioux Oglala. Mais tant que ceux qui ont une voix publique mettront en avant  ces idées – ou établiront des liens ténus entre les actions d’un malade psychopathe à Nuka Hiva et les pratiques coutumières des peuples autochtones à travers le monde – on les croira.

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