Les mirages de la conservation de la nature

Par Stephen Corry

 

« Le chemin de la perdition s’accompagne toujours d’un soutien de façade à un idéal. »

– Einstein

 

Et si certaines des solutions les plus commentées pour lutter contre le chaos climatique avaient l’effet inverse de celui escompté et ne faisaient qu’aggraver les choses ? C’est ce que pensent certains critiques, qui ne sont pourtant pas des climato sceptiques niant l’existence du changement climatique. Le concept de zéro émission de carbone, par exemple, pourrait bien aider les industries à polluer, car l’un des moyens les plus courants pour tenter d’y parvenir vient des « crédits de carbone ». Cela signifie que, si une compagnie est responsable d’une tonne d’émission de dioxyde de carbone – ce qui est mauvais –, elle peut financer un projet qui « capture » (ou « séquestre ») une tonne de carbone – ce qui est bien –, de sorte que les « émissions nettes » sont égales à zéro, car l’une est soustraite de l’autre, ou la « compense ».

S’il était possible de réaliser des calculs précis (ce qui est hautement improbable, la quantité absorbée étant toujours exagérée), les entreprises en profiteraient pour polluer à l’envi puisqu’elles financeraient quelqu’un d’autre pour « nettoyer les déchets ». Cela revient à laisser derrière soi une trainée de détritus tout en payant quelqu’un pour balayer à l’autre bout du globe. Un stratagème voué à l’échec.

La seule méthode efficace présentée à ce jour pour « capturer » des quantités significatives de carbone à un prix raisonnable est de planter des arbres. Mais dans nombre de projets de compensation, on plante des arbres à croissance rapide comme l’eucalyptus ou l’acacia, ce qui a pour effet d’augmenter plutôt que de réduire la quantité de carbone : d’une part, la végétation déjà existante doit être éliminée et, d’autre part, les nouvelles plantations sont plus sensibles aux incendies, qui provoquent des pollutions de grande ampleur. Il faudra souvent des décennies avant que ces plantations commencent à absorber d’importantes quantité de carbone. D’autres arbres sont tout aussi nuisibles, comme le palmier à huile ou l’hévéa, car ils privent les gens de leur terre et détruisent la biodiversité, bien qu’on essaie de les faire passer comme respectueux de l’environnement, car l’ONU définit aussi ces plantations comme des « forêts ». Affirmer qu’une telle destruction serait bonne pour l’environnement serait comique si elle n’était pas si tragique.

Une autre forme de compensation consiste à convaincre quelqu’un de renoncer à couper des arbres qui auraient normalement dû être abattus. Notons que cela ne réduit en rien la quantité de carbone existante. Dans le jargon, on appelle ça REDD+ (réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation), où le « + » représente la conservation des forêts existantes. Des centaines de projets de ce genre existent depuis des années, mais les réussites sont rares. L’un des problèmes est que l’engagement de ne pas abattre d’arbres est pris par des gens qui n’ont pas le pouvoir, ou même l’intention d’empêcher ces abattages, et que des arbres non abattus telle année peuvent très bien l’être l’année suivante. Lier des communautés humaines autour de contrats courant sur plusieurs générations n’est pas réaliste.

Il existe donc de nombreuses raisons pour lesquelles le système de compensation est rarement ce qu’il prétend être, et ceux qui le critiquent utilisent volontiers l’expression peu flatteuse « payer pour polluer ». Une étude a démontré que presque tous ces projets – elle donne le chiffre impressionnant de 85% – sont tout simplement des échecs. Pourtant, en dépit de ces revers, ce système de compensation reste une véritable industrie représentant plusieurs milliards de dollars.

Récemment, une nouvelle belle promesse des organisations de la nature et des gouvernements a vu le jour. Elle porte le nom très prometteur de « New Deal for Nature » ou nouveau plan pour la nature.

L’idée est simple, il faut doubler les « zones protégées » (AP) du monde afin qu’elles couvrent trente pour cent des terres et des océans de la planète. Cela sonne bien : c’est facile à comprendre et les chiffres sont censés être mesurables, et les publicitaires adorent les chiffres.

Quelle meilleure réponse au changement climatique et à la perte de biodiversité que d’interdire l’« interférence » humaine sur de vastes zones ? Si vous pensez que « tout le monde » est coupable d’avoir causé les deux crises et que tout est résolu en les éloignant. L’idée existe depuis des années, mais les gouvernements et les industries en font maintenant la promotion à hauteur de milliards de dollars, il sera donc difficile de s’y opposer. Mais il s’agit en fait d’un non-sens dangereux qui aurait exactement l’effet inverse de ce que l’on nous dit, et si nous voulons sauver notre monde, il faut y mettre un terme.

Il s’avère que la plus grande diversité ne se trouve pas dans les zones où toute interférence humaine est interdite – elle se trouve dans les endroits où les peuples autochtones et autres communautés locales sont restés sur place et ont continué à faire ce qu’ils ont toujours fait, gérer leur environnement. Des études montrent que les forêts gérées par les communautés ont moins de déforestation qu’à l’intérieur des AP, et que la « nature » se porte mieux dans les zones gérées par les populations autochtones qu’ailleurs. Dans des endroits aussi différents que l’Australie, le Brésil et le Canada, on trouve plus de diversité dans les territoires autochtones que dans les AP. 80 % de la biodiversité se trouve en territoire autochtone. Il n’est donc tout simplement pas vrai que tout le monde partage la responsabilité de la perte de biodiversité.

Protéger la « nature » en la vidant de ses habitants n’a tout simplement pas fonctionné. Certaines des AP ne sont en fait pas protégées du tout. Les habitants sont mis à la porte lorsque l’une ou l’autre industrie s’empare des terres, en partenariat avec l’une ou l’autre des grandes ONG de protection de la nature. À la place on y installe des exploitations industrielles – exploitation minière, exploitation forestière, plantations mais aussi des concessions de chasse au trophée ou infrastructures touristiques étendues, généralement haut de gamme – une réalité rarement mise en avant.  

C’est à cela que ressembleront les trente pour cent du globe pris pour le New Deal for Nature – un tiers du globe volé pour le profit, en bafouant les droits autochtones. C’est un nouveau colonialisme, le plus grand accaparement de terres du monde, soi-disant « vert » et censé sauver le monde – un très gros mensonge.

 Si nous voulons lutter efficacement contre le réchauffement climatique il faut réduire la quantité de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre, ce n’est pas la même chose que de prétendument réduire les émissions nettes, mais cela représenterait un pas bien plus décisif. Cela impliquerait une réduction de la consommation d’énergie et de la croissance industrielle, une baisse de l’activité militaire – l’un des plus grands pollueurs, pourtant rarement mentionné par les militants du climat – et aussi de l’utilisation d’internet, très gourmand en énergie.

Et puis, il faudrait enfin placer les peuples autochtones au cœur du débat. Sans diversité humaine, il n’y a pas de diversité biologique.

 

 

Cet article est une traduction révisée des articles New Deal for Nature : Paying the Emperor to fence the wind et Diversity Rules Environment, OK ?

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