Kenya : Un jugement historique inflige un coup sévère à un projet de compensation carbone emblématique
29 Janvier 2025
Une décision de justice très attendue, rendue au Kenya, a infligé un coup sévère à un projet de compensation carbone emblématique, utilisé par des entreprises telles que Meta, Netflix, British Airways et autres multinationales et qui se trouve depuis longtemps sous le feu des critiques d'activistes autochtones.
Ce jugement, qui fait suite à une plainte de 165 membres de communautés affectées, confirme que deux des plus grands "conservatoires communautaires" mis en place par l'organisation controversée Northern Rangelands Trust (NRT) ont été créés d'une manière inconstitutionnelle et, de ce fait, ne sont nullement fondés en droit.
Le tribunal a également ordonné que les gardes du NRT, lourdement armés et accusés de multiples et graves violations des droits humains contre les peuples autochtones du territoire, quittent ces conservatoires.
L'un des deux conservatoires concernés par cette affaire, appelé Biliqo Bulesa, contribue à hauteur d'environ un cinquième des crédits carbone générés dans le cadre du très controversé projet du NRT, qui consiste à vendre des crédits carbone à des entreprises occidentales.
Il est probable que le jugement s'applique également à environ la moitié des autres conservatoires impliqués dans ce projet de compensation carbone, dans la mesure où ils se trouvent dans la même situation juridique, même s'ils ne sont pas directement concernés par le procès. Cela signifie que l'ensemble du projet, dont le NRT a déjà tiré des millions de dollars (le montant exact n'est pas connu car l'organisation ne publie pas ses comptes), est aujourd'hui menacé.
Regardez cette vidéo dans laquelle le leader borana Abdullahi Hajj Gonjobe dénonce l'impact dévastateur des conservatoires du NRT sur le mode de vie pastoral de son peuple.
La plainte avait été déposée en 2021, mais le jugement n'a été que récemment rendu par le tribunal pour l'environnement et la terre d'Isiolo. Le problème juridique au cœur de cette affaire avait été identifié dans le rapport "Blood carbon" de Survival International, qui contestait également le fondement même du projet de compensation carbone du NRT, à savoir que, selon ce dernier, le contrôle du bétail des éleveurs autochtones permettrait d'accroître la végétation de la zone, et donc la quantité de carbone stockée dans le sol.
Ce jugement représente également le dernier d'une série de revers pour la crédibilité de Verra, le principal organisme chargé de vérifier les projets de crédits carbone. En effet, malgré l'absence de fondement juridique clair de certains des conservatoires ayant participé au projet du NRT, qui ne pouvaient donc pas "détenir" ou "transférer" des crédits carbone au NRT, le projet a été approuvé et validé par Verra, et a fait l'objet de deux vérifications via leur système. Des dénonciations de Survival International avaient entraîné une évaluation du projet en 2023, sans que le problème ne soit résolu.
Caroline Pearce, directrice de Survival International au Royaume-Uni, a déclaré aujourd'hui : "Ce jugement confirme ce que les communautés disent depuis des années : qu'elles n'ont pas été consultées de manière appropriée pour la création des conservatoires, qui ont porté atteinte à leurs droits territoriaux. Les bailleurs de fonds occidentaux du NRT, tels que l'Union européenne, la France et l'USAID, doivent cesser de financer l'organisation, car ils financent une opération qui est aujourd'hui déclarée comme illégale."
"Ce jugement est embarrassant autant pour le NRT que pour Verra, car il montre qu'il n'existe aucun fondement juridique pour au moins une partie significative du projet de compensation carbone. Les crédits carbone que celui-ci génère doivent donc maintenant être considérés comme non valides."
"Malheureusement, ce scandale du NRT est loin d'être un problème isolé. Un trop grand nombre de ces programmes de compensation carbone est basé sur le même modèle conventionnel et obsolète de "conservation-forteresse", qui prétend protéger les terres tout en piétinant les droits de ses habitants autochtones et en réalisant de confortables profits."
"Que le NRT ait également contourné des obligations juridiques dans le processus n'est pas une surprise, cela ayant été pointé par Survival il y a déjà plusieurs années. Il est grand temps que Verra réalise une évaluation digne de ce nom et abandonne ce projet une bonne fois pour toutes."
Notes aux rédactions :
- Le NRT regroupe 45 "conservatoires communautaires" dans le nord du Kenya, dont une grande partie sur les terres d'Autochtones des peuples borana, samburu et rendille. Cela représente plus de 10 % de toute la superficie du Kenya.
- La plainte a été déposée devant le tribunal de grande instance d'Isiolo en septembre 2021. Le jugement a été rendu par le tribunal pour l'environnement et la terre (Environment and Land Court) d'Isiolo le 24 janvier 2025.
- Lors de ce procès, le NRT a été accusé de créer et gérer des conservatoires sur des terres communautaires non enregistrées, "sans participation ni implication de la communauté". Il a ainsi délimité et annexé des terres communautaires pour des activités de conservation de la vie sauvage privées sans avoir obtenu de consentement préalable, libre et éclairé. La plainte indique notamment : "(Le NRT), avec l'aide de gardes et de l'administration locale, continue de recourir à l'intimidation, à la coercition et aux menaces contre les leaders communautaires, dès lors que ceux-ci tentent de s'opposer à l'un de ses plans."
- La plainte a été déposée par des communautés de deux conservatoires, Biliqo Bulesa Conservancy (qui se trouve dans la zone du projet de compensation carbone du NRT et où 20 % des crédits carbone du projet ont été générés) et Cherab Conservancy (qui ne s'y trouve pas).
- D'après le jugement prononcé, ces deux conservatoires ont été créés de manière illégale. Des injonctions permanentes ont été émises afin d'interdire au NRT et autres organisations de pénétrer dans la zone ou d'y faire intervenir leurs gardes ou autres agents.
- Le gouvernement kenyan doit poursuivre l'enregistrement des terres communautaires en vertu du Community Land Act et doit annuler les permis octroyés au NRT pour opérer dans les zones concernées.
- Le projet de compensation carbone du NRT serait, d'après des sources, le plus grand projet de séquestration de carbone dans le sol du monde.